PANAIT ISTATI – ENRACINEMENT

PANAIT ISTRATI 4

Le 16 avril, le jour de la mort de Panaït Istrati.

 «Adrien Zograffi, âgé de vingt-deux ans, quitte son pays, pour la première fois, en décembre 1906. Il s’embarque à Constantza pour Alexandrie d’Égypte.

C’est une date qui compte dans son existence. Jusqu’à la veille de la Grande Guerre, notre jeune idéaliste sera l’amant de la Méditerranée. La Roumanie, Braïla, où sa mère peine dans l’angoisse, ne le reverront plus que le temps nécessaire aux hirondelles pour élever leurs petits.

Dans les pages qui suivent, Adrien raconte lui-même les scènes capitales de sa féerie méditerranéenne

C’est la très courte présentation de deux récits qui composent le diptyque: Méditerranée: Lever du soleil et Coucher du soleil.

MEDITERANA RĂSĂRIT

MEDITERANA APUS

Mais, Méditerranée c’est, plutôt, un journal de voyage. Écrits à la première personne, les récits narrent les aventures ou, plus précisément,  les mésaventures du jeune Adrien Zograffi/Panaït Istrati.

Les péripéties du jeune âgé de vingt-deux ans, qui est parti pour gagner le monde, pour connaître le monde. Précisément, une partie du monde, celui de la Méditerranée Orientale: Alexandrie et Le Caire, Beyrouth et Ghazir, en Liban, Damas, en Syrie… la Méditerranée dont il… sera l’amant ! C’est Adrien, lui-même, qui le dit: Adrien est épris des terres méditerranéennes !

Ce voyage est le premier de sa vie, un voyage ou un parcours initiatique où il connaît son premier Labyrinthe. Et, comme tout vrai Labyrinthe, celui-ci le conduit vers soi-même, vers la Roumanie et vers la ville de Braïla. Parce que, en parcourant ce Labyrinthe, il rencontre, partout, des gens qui portent, tendrement, dans leur cœur, la Roumanie, comme une cachette, des gens qui rêvent des mets délicats de la cuisine roumaine, des gens qui parlent le roumain…

C’est un voyage plein de péripéties. Il ne saurait en être autrement. Comment devenir un initié si on n’a pas beaucoup d’ épreuves, d’abstinence, si on n’a pas de ténèbres sur le chemin ? Le mot grec péripétie vient de l’adjectif grec peripetis/ περιπετής: quelqu’un se réveillant au milieu d’une mauvaise situation. Les mots péripétie et peripetis viennent du verbe peripipto/περιπίπτω: tomber, à l’improviste, dans une mauvaise affaire.

Mais, au bout de ce voyage, Panaït va comprendre que sa Roumanie natale, la ville de Braïla l’ont accompagné partout.

Méditerranée  (Lever du soleil et Coucher du soleil) est parue en septembre 1934. Panaït mourut le 16 avril 1935, c’est à dire, quelques mois plus tard. Curieusement, son premier journal, qui raconte ses errances, depuis l’an 1906, a été publié peu avant sa mort. Pourquoi a t-il éprouvé le désir, avant de quitter cette vie, de revivre ces évènemments ? C’était le temps de son enracinement ! Aussi étrange que cela puisse paraître, ce sont, précisément les gens qu’il a rencontrés et leurs souvenirs de leur Roumanie qui l’ont redonné aux terres auxquelles il s’était arraché il y avait longtemps.

Le jeune Adrien Zograffi, c’est-à-dire Adrien le „peintre en bâtiment”, parce que zugrav en roumain signifie peintre et peintre en bâtiment (ce mot vient de zográfos/ζωγράφος, peintre, en grec), voulait fuir sa banlieue de Braïla, qu’il avaitnommée, dans son récit Mikhail: un Sahara de l’esprit humain. Le destin a voulu qu’il se retrouve, après une absence de 30 ans, dans son Sahara, et qu’il y pousse des racines très fortes.

Voyons maintenant qui sont ces gens:

Moussa, le juif d’une soixantaine d’années, peintre en bâtiment, comme moi... sa fille Rebecca/Sara qui veut cuisiner, pour le repas de Noël, choucroute au porc…

Bianchi, cet Italien au cœur roumain qui aime à se souvenir, avec tendresse, du pays où il a vu le jour. Il parle ma langue sans aucun accent. Sur l’octave la plus haute du piano, il joue en sourdine Ciocârlia  (L’Alouette). Pendant  ce  temps,  son  corps  se  penche  avec  tendresse sur  l’instrument, la  poitrine  couvre  la  main  qui  chante cet hommage matinal de l’oiseau du laboureur, tandis que son visage s’empourpre et ses yeux m’interrogent:«Tu vois? Je n’oublie pas le pays de ma mère ! » (…) tout près de pleurer sur une rengaine qui lui rappelle la  terre  de  son  enfance…

Solomon Klein,  à  Beyrouth: J’eus le sentiment qu’un bonheur patriarcal régnait dans ce foyer roumain, perdu sur cette côte de l’Asie Mineure…

Simon Herdan, son patron à Damas: Je méditais sur ce problème de la vie, tout en allant le nez au vent. Et soudain, je lus, au-dessus d’une boutique: SIMON HERDAN, FERBLANTIER-COUVREUR. Celui-là, me  dis-je, doit  être  un  Juif  de  chez  nous. L’enseigne est en fort mauvais état. Si ce Juif est un Roumain, il me donnera son enseigne à refaire et je gagnerai aussitôt un peu d’argent… Non… Je ne suis pas roumain… Je suis juif, mais juif de Roumanie. En cette qualité,  je t’invite à un narguilé, si cela ne te vexe pas ! Malgré  mon  vagabondage, je  suis  resté  roumain, de  tout  mon cœur et de tout mon estomac. Je sais préparer nos saucisses/ caltabosh, nos muraturi, notre incomparable choucroute, nos piments farcis, et je sais les manger avec un appétit à faire ressusciter les morts

Ah, le caltabosh, à mon avis, il est la somme de la cuisine roumaine.

Ce sont des petites choses, mais ce sont celles qui ont conduit Panaït Istrati à aimer ses racines, celles qui l’ont conduit à son vrai enracinement.

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LECTURES CONNEXES:

Constantin Cavafy – La Ville (1910)

Tu dis : « J’irai vers d’autres pays, vers d’autres rivages. Je finirai bien par trouver une autre ville, meilleure que celle-ci, où chacune de mes tentatives est condamnée d’avance, où mon cœur est enseveli comme un mort. Jusqu’à quand mon esprit résistera-t-il dans ce marasme ? Où que je me tourne, où que je regarde, je vois ici les ruines de ma vie, cette vie que j’ai gâchée et gaspillée pendant tant d’années.»
Tu ne trouveras pas de nouveaux pays, tu ne découvriras pas de nouveaux rivages. La ville te suivra. Tu traîneras dans les mêmes rues, tu vieilliras dans les mêmes quartiers, et tes cheveux blanchiront dans les mêmes maisons. Où que tu ailles, tu débarqueras dans cette même ville. Il n’existe pour toi ni bateau ni route qui puisse te conduire ailleurs. N’espère rien. Tu as gâché ta vie dans le monde entier, tout comme tu l’as gâchée dans ce petit coin de terre. »

Traduction du grec de Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras – Editions Gallimard/Poésie

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Georges Moustaki – Le Meteque

Avec ma gueule de métèque
De juif errant, de pâtre grec
De voleur et de vagabond

Avec ma peau qui s’est frottée
Au soleil de tous les étés
Et tout ce qui portait jupon

Avec mon cœur qui a su faire
Souffrir autant qu’il a souffert
Sans pour cela faire d’histoires

Avec mon âme qui n’a plus
La moindre chance de salut
Pour éviter le purgatoire

Avec ma gueule de métèque
De juif errant, de pâtre grec
Et mes cheveux aux quatre vents

Je viendrai ma douce captive
Mon âme sœur, ma source vive
Je viendrai boire tes vingt ans

Et je serai prince de sang
Rêveur ou bien adolescent
Comme il te plaira de choisir

Et nous ferons de chaque jour
Toute une éternité d’amour
Que nous vivrons à en mourir

Et nous ferons de chaque jour
Toute une éternité d’amour
Que nous vivrons à en mourir.

PANAIT ISTRATI NISA 1Panaït Istrati, Nice, 1921. Collection Panaït Istrati, Bibliothèque Lettres, Arts, Sciences humaines PaI 127(2)

PANAIT ISTRATI Saint-RochPanaït Istrati dans son nouveau métier de photographe ambulant à la sortie de l’hôpital Saint-Roch après sa tentative de suicide, mars 1921. Collection Panaït Istrati. Bibliothèque Lettres, Arts, Sciences humaines PaI 127(2)

AUTOR   ZENAIDA ANAMARIA  LUCA

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